Shy ¤ Max Porter

La nuit est immense et elle fait mal

IMG20240126103432Il est trois heures treize du matin et Shy quitte la Dernière Chance, le sac à dos rempli de cailloux, walkman vissé sur les oreilles. Il s’enfonce dans le noir de la campagne anglaise, scruté et jugé par une lune blanche. La Dernière Chance, c’est une école pour mineurs délinquants, adolescents à problèmes, garçons un peu dérangés, gamins pour qui on s’inquiète, à qui l’on pose des questions, que l’on voudrait faire parler, à qui l’on demande d’effacer leur ardoise. Dans ce manoir imposant menacé de fermeture cohabitent les fantômes, les voix dans la tête, les travailleurs sociaux, les adultes qui parlent à la place des gosses, et les rires de ces jeunes gars à côté de, en dehors de, pas comme.

« Il a taggué, sniffé, fumé, juré, volé, tranché, cogné, fui, sauté, démoli une Ford Escort, détruit une boutique, saccagé une baraque, pété au nez, planté un couteau dans le doigt de son beau-père, mais ça fait un bail qu’il n’a pas fugué. C’est du taf et du stress. »

Ce qui est raconté ici c’est la dureté de l’adolescence, le mal-être informulable en langue adulte, les rêves hallucinés, habités de petites filles, de « chiens mangeurs de cauchemars » et de chimères. Shy, lui, a une colère qui le suit comme son ombre, alors il marche dans la nuit, flanqué de ses pensées, de « petits trucs » qui prennent beaucoup de place, et alors ses souvenirs  le talonnent,  et alors il rappe en murmures pour conjurer l’immensité et la solitude.

Un texte déguisé en acouphène nocturne, une marche dans la nuit pour dévoiler la clarté des émotions d’un ado malheureux, rythmée de silences, de battements de cœur et de drum and bass.

Shy s’est senti un peu mal et il a eu un instant de vertige, la trouille au bide, pas le poids contre ces sacs à merde, et pile au moment où il allait foutre le camp un des mecs lui a collé une mandale derrière la tête, un autre est arrivé en courant et lui en a mis une dans le ventre, et là il est tombé et c’est devenu le chaos et tous ils lui filaient des coups de latte, étonnés qu’un poing dans l’estomac ait pu le mettre au tapis, des tarés de rugbymen, des mecs qui avaient des joggings chers et des parents heureux

Mon premier Max Porter, sûrement pas le dernier !


¤ Shy, Max Porter, traduit de l’anglais pas Charles Recoursé, éditions du Sous-sol, 136 pages, 2023 ¤


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2 réflexions sur “Shy ¤ Max Porter

  1. Marie-Claude 27 janvier 2024 / 0 h 18 min

    J’hésitais, puis tes mots m’ont convaincu. Simple de même!

    J’ai eu un coup de foudre pour La douleur porte un costume de plumes. J’ai passablement aimé Lanny. Mais là, cette histoire d’ados cabossés… Il me faut ce roman!

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    • lunedepassage 29 janvier 2024 / 15 h 08 min

      Héhé. Je l’ai trouvé vraiment bon! On me parle beaucoup de la douleur porte un costume de plumes, ce sera mon prochain je pense !

      Aimé par 1 personne

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