Athos le forestier ¤ Maria Stefanopoulou

« Je suis mort. On m’a exécuté en décembre 1943. Depuis lors je ne peux pas vivre sans ma mort. Je lui appartiens. »

Le 13 décembre 1943, dans une Grèce occupée par l’Allemagne nazie, la Werhmacht sépare les habitants de Kalavryta, petit village de montagne du Péloponnèse. Les femmes et les enfants sont enfermés dans le bâtiment de l’école, le village est incendié et les hommes sont emmenés sur la colline de Kapis. Là, pour se venger des Résistants grecs, les soldats allemands exécutent tous les hommes de plus de quinze ans. Lorsque Marianthi, une femme « grande et mince comme un cyprès » parvient à rejoindre le Kapis avec sa fille Margarita, elle retrouve le corps de son fils Giannos. Son mari Athos, trente-trois ans, faisait partie des exécutés. Pourtant, son corps est introuvable.

« La neige ne tombe pas pour recouvrir les collines et les sommets des montagnes, mais pour que les animaux puissent y laisser leurs traces. Quand j’ai ouvert les yeux sur le champ de Kapis, dès que les mitrailleuses ont cessé de tirer, j’ai eu le sentiment que j’étais mort. Il n’y avait personne à côté de moi. J’étais seul. J’ai compris que même mort, je pouvais me mouvoir. J’ai roulé le long d’une pente. J’ai vu alors sur la neige les empreintes du passage d’un animal. Les suivre ne m’apportait pas seulement le salut en me soustrayant aux coups de grâce que donnaient les Allemands, mais répondait surtout à mon besoin de trouver les traces de la vie qui me convenait vraiment – fût-elle une vie posthume. Un peu plus bas apparaissaient les premiers sapins. Je suis entré dans la forêt. À partir de là, je connaissais parfaitement les chemins. »

Plongé dans une amnésie qui l’éloigne de sa famille, Athos s’est retiré sur le Chelmos, massif de montagnes au-dessus de Kalavryta, dans sa cabane de forestier. Il s’éloigne des Hommes et de la guerre et refuse les discours sur le sacrifice des civils et la vengeance comme nécessité. Chaque jour, le forestier miraculé plante des chênes et des cèdres de Chypre sur le massif : « des arbres pareils à des hommes sans armes ».

À la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la Grèce est traversée de plein fouet par la guerre civile, puis viennent les remous des guerres de Yougoslavie. Lefki, petite fille d’Athos, veut raviver la mémoire, faire parler son grand-père, comprendre Kalavryta, porter le témoignage de l’ermite pacifiste du Chelmos, celui qui est à la fois mort et vivant. Marianthi, Margarita, Lefki, Iokasti : quatre générations de femmes seront habitées par Athos.

Au fil des pages on s’enfonce dans les forêts du Chelmos, entre passé et présent, on rencontre un déserteur allemand, une résistante qui imite le cri de la chouette, un orphelin, des veuves, des fantômes, des figures mythologiques, une responsable de mission humanitaire, autant de personnages foudroyés par les horreurs de l’Homme. La cabane d’Athos devient le lieu de conversations sur ce que sont les crimes de guerre, sur la vengeance, la mort, la haine, la rébellion, la liberté.

« Renoncez à la vengeance aveugle, dit le forestier d’une voix déchirante. C’est une erreur humaine et militaire. Tuer un homme en dehors du combat, ça ne signifie pas qu’on défend une vision du monde, ça signifie qu’on commet un crime. Politiquement vous n’existez pas. C’est ce que je suis venu vous dire. »

Ce roman pacifiste inspiré de faits réels dévoile l’impossibilité du témoignage total, les contradictions et les creux de l’Histoire, la mémoire fragmentée, faite de rêves, d’apparitions et de questionnements. La réalité de la guerre se mêlant à l’imaginaire et à ces forêts d’arbres qui sanglotent, d’arbres honteux, d’arbres qui tiennent bon.

Pour cette nouvelle année de lecture je souhaitais lire plus de littérature étrangère non-anglophone et surtout parcourir de nouveaux pays en livres. C’est chose faite avec ce roman grec qui m’a happée jusqu’au bout (cette fin, cette fin !) et qui m’accompagne encore, une semaine après l’avoir terminé. Je dois aussi saluer le traducteur René Bouchet, en particulier pour ses notes de bas de page, véritables mains tendues aux lectrices pour qui la Grèce est un pays totalement inconnu.


Athos le forestier, Maria Stefanopoulou, éditions Cambourakis, traduit du grec par René Bouchet, 222 pages, 2019


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